La protection des sources des journalistes : la décevante loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010
Aurélie Chavagnon, Cabinet Masure et Chavagnon, avocats au barreau de Paris
La presse ne peut informer sans informateur. Or, l'informateur ne trahit aucun secret sans protection du journaliste à qui il se confie. Le journaliste a donc l'obligation déontologique de ne pas révéler ses sources (Déclaration des droits et devoirs des journalistes adoptée à Munich en novembre 1971). Pour autant, cette règle se heurte aux investigations de certains juges d'instruction zélés et/ou en mal de preuves. C'est pourquoi, les journalistes et les éditeurs de presse militent de longue date en faveur d'une protection accrue du secret de leurs sources.
La liberté de chaque journaliste de ne pas révéler ses sources lorsqu'il est entendu comme témoin n'offre aucune protection effective (art. 109 CPP). En effet, il suffit au juge d'instruction de mettre le journaliste en examen ou de diligenter une procédure d'écoute téléphonique ou de perquisition pour contourner cette protection. Dans ces conditions, les journalistes ne peuvent garantir l'anonymat indispensable à leurs informateurs. La liberté de la presse est mise à mal, les « chiens de garde de la démocratie » ne sont pas en mesure d'accomplir leur mission d'informer.
Ce constat motive le Conseil de l'Europe, dès le 8 mars 2000, à recommander aux Etats membres de mettre en oeuvre la protection des sources journalistiques dans leur droit interne. En vain, les perquisitions et les gardes à vue de journalistes se sont multipliées : aff. Yan Piat : perquisition au Canard Enchaîné le 1er août 1996 ; aff. Cofidis : perquisitions au Point et à L'Equipe en janvier 2005 ; aff. Clearstream : tentative de perquisition auCanard Enchaîné le 11 mai 2007 ; la garde à vue de Guillaume Dasquié le 5 décembre 2007 (auteur d'un article « 11 septembre 2001 : les Français en savaient long », publié dans Le Monde du 17 avr. 2007) ; perquisition à Auto Plus et garde à vue de Bruno Thomas le 15 juillet 2008 (instruction pour espionnage industriel sur plainte contre X de Renault). Les condamnations de la France par la Cour EDH en sont le corollaire (Fressoz et Roire c/ France, n° 29183/95, 21 janv. 1999 [D. 1999. Somm. 272, obs. Fricero], Dupuis c/ France, n° 1914/02, 7 juin 2007 [D. 2007. Jur. 2506, note Marguénaud ; RSC 2007. 563, note Francillon]).
Annoncée en même temps que la suppression de la publicité sur le service public audiovisuel en janvier 2008, la consécration législative de la protection des sources fait figure d'« attestation de bonne conduite » pour un président de la République entretenant des rapports tendus avec la presse (Mediapart, « Secret des sources : attention, cette loi est un piège », Edwy Plenel, 15 mai 2008).
Un projet de loi vivement critiqué est présenté par Rachida Dati, alors ministre de la justice. Remaniée par le député UMP Etienne Blanc, la loi relative à la protection du secret des sources des journalistes est finalement promulguée le 4 janvier 2010 (JO 5 janv., p. 272). Pour autant, cette loi pose-t-elle de véritables garde-fous à l'ingérence des pouvoirs exécutif et judiciaire ?
Le principe aux limites imprécises
La Cour EDH considère qu'il ne peut être porté atteinte au secret des sources - « pierre angulaire de la liberté de la presse » - sous réserve d'un « impératif prépondérant d'intérêt public », au visa de l'article 10 Conv. EDH (CEDH, 2e sect., 27 nov. 2007, Tilack c/ Belgique). Celui-ci dispose que la liberté d'expression comprend « la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ».
La loi du 4 janvier 2010 reprend donc scrupuleusement le principe. L'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 dispose désormais que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public. » Reste à savoir à qui et jusqu'où ce principe s'applique.
Le champ d'application - Les bénéficiaires énumérés par la loi sont les journalistes professionnels (pigistes ou salariés par un seul éditeur) exerçant sur tous supports (presse écrite, presse en ligne, presse audiovisuelle) ainsi que ceux travaillant pour le compte d'agences de presse. Les journalistes non professionnels, tels que les bloggeurs, ne sont pas visés par la loi.
L'exception au principe - Le secret des sources est écarté en cas d'« impératif prépondérant d'intérêt public » (initialement « intérêt impérieux »), reprise fidèle de l'attendu de principe de la Cour EDH. Or, la loi interprète cette notion imprécise à l'aune de critères extra larges. En effet, la nécessité de l'atteinte s'apprécie au regard de « la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation sont indispensables à la manifestation de la vérité ». Il peut donc s'agir de n'importe quel crime ou délit, ce qui ouvre la voie aux trois quarts des infractions prévues par le code pénal.
Il n'appartient pas à la Cour EDH de définir en quoi consiste un « impératif prépondérant d'intérêt public ». Dès lors, on attendait que l'exception soit précisément définie en droit interne, au regard des priorités politiques et judiciaires locales (lutte antiterroriste par exemple). L'amendement visant à limiter les dérogations à la prévention de crimes ou délits constituant une menace grave pour l'intégrité des personnes, sous réserve que l'information ne puisse être obtenue d'aucune autre manière, a été rejeté par la majorité.
Notons que le législateur belge, mieux inspiré, a su encadrer la protection des sources de manière pragmatique : les journalistes « ne peuvent être tenus de livrer les sources d'information (...) qu'à la requête du juge, si elles sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes en ce compris les infractions visées à l'article 137 du code pénal, pour autant qu'elles portent atteinte à l'intégrité physique, et si les conditions cumulatives suivantes sont remplies : 1º les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission de ces infractions ; 2º les informations demandées ne peuvent être obtenues d'aucune autre manière » (loi du 7 avr. 2005).
La loi du 4 janvier 2010 définit trop vaguement les exceptions à la protection des sources. Une liste exhaustive des infractions concernées et un principe de subsidiarité mieux affirmé sont deux garanties minimales dont le législateur ne pouvait faire l'économie. Il incombera au juge de préciser et de qualifier cette notion d'impératif prépondérant d'intérêt public. Cette loi échoue donc à créer un cadre juridique sécurisant pour la presse.
L'encadrement des investigations judiciaires
Les perquisitions - L'article 2 de la loi modifie la procédure des perquisitions menées dans les locaux de l'entreprise (presse papier, en ligne, audiovisuelle et agences de presse), y ajoutant les véhicules professionnels et le domicile des journalistes lorsque les investigations sont liées à leur activité professionnelle. Ces perquisitions ne peuvent être effectuées que par un magistrat après décision écrite et motivée de ce dernier portée à la connaissance de la personne au domicile de laquelle la perquisition a lieu. Notons que la présence de ces deux personnes était déjà exigée (art. 56-2 et 57 CPP). La loi ajoute seulement l'exigence d'une décision préalable.
La loi édicte de nouvelles contraintes précisant qu'à peine de nullité seuls le magistrat et la personne présente ont le droit de prendre connaissance des documents ou des objets découverts lors de la perquisition préalablement à leur éventuelle saisie. Celle-ci ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles mentionnées dans la décision préalable.
Le magistrat doit veiller à ce que les investigations respectent le libre exercice de la profession de journaliste, ne portent pas atteinte au secret des sources et ne constituent pas un obstacle ou n'entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l'information, ce qui est déjà prévu à l'article 56-2 du code de procédure pénale.
En cas de contestation sur la régularité de la saisie d'un document ou de tout objet, celui-ci doit être placé sous scellé fermé. Ce dernier et le procès-verbal afférent doivent être transmis sans délai au JLD qui doit statuer dans un délai de cinq jours par ordonnance motivée non susceptible d'appel. S'il ordonne la restitution des éléments irrégulièrement saisis, le procès-verbal est détruit et toute référence à ce document ou objet qui figurerait doit être supprimée du dossier de la procédure. Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Les parties peuvent encore demander la nullité de la saisie devant la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction.
Les écoutes - L'article 100-5 du code de procédure pénale est complété par un nouvel alinéa : les correspondances d'un journaliste permettant l'identification d'une source ne peuvent être transcrites à peine de nullité. L'encadrement des investigations judiciaires diligentées à l'encontre d'un journaliste ou d'un organe de presse est désormais très proche de celui appliqué aux avocats (cf. art. 56-1 et 100-7 CPP).
Le journaliste et le secret de l'instruction
Principe déjà consacré par la jurisprudence (Crim. 11 févr. 2003, n° 01-86685 et n° 01-86696, RSC 2004. 130, obs. Francillon ; D. 2004. Somm. 317, obs. de Lamy), le journaliste poursuivi en diffamation peut produire, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d'une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction ou de tout autre secret professionnel s'ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires.
Rappelons que le rapport rendu, le 1er septembre 2009, par le Comité Léger suggère de supprimer le secret de l'enquête, de maintenir le secret professionnel et d'en tirer toutes conséquences à l'égard des poursuites exercées à l'encontre des journalistes pour recel du secret de l'instruction. Pour autant, les poursuites étant systématiquement exercées sur le double fondement de recel du secret de l'instruction et du secret professionnel, seul ce dernier demeurerait (Légipresse, oct. 2009, n° 265, Tribune B. Ader).
Nouvel effet d'annonce ou méconnaissance de la pratique judiciaire ? L'éventuelle mise en oeuvre de cette proposition nous l'enseignera...
En définitive, en dépit de quelques garanties supplémentaires relatives aux investigations judiciaires, un examen attentif des débats parlementaires et de la loi du 4 janvier 2010 en résultant nous révèle la méfiance tenace du pouvoir politique à l'égard de la presse. C'est une protection des sources a posteriori qui est mise en place par le législateur. L'appréciation a priori de l'opportunité de la perquisition s'exerce selon des critères trop imprécis pour garantir de manière certaine une pratique respectueuse du secret des sources.
lundi 8 février 2010
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